M Lesquatre idées fondamentales

Extrait n°2 du cycle Mandala Yoga

de Lama Neldjorpa Shérab

Transcription FabienneLenoble

 

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1) La condition causale : lerenoncement

2) Les quatre idées fondamentales

a. le précieux corps humain

b. l’impermanence et la mort

c. le karma et la loi de causalité

d. la défectuosité du samsara

3) conclusion

 

1) la condition causale : lerenoncement

Tout chemin spirituel comporte des conditions préalables,préliminaires à tout engagement véritable. Sans elles, il nepeut y avoir de chemin spirituel. Celui-ci se faisant pas aprèspas, si les conditions d’un premier pas sont absentes, lepas suivant est impossible. On peut venir à des enseignements etêtre même assidu, si on ne veut pas réellement renoncer ausamsara, on n’a pas capté l’âme du chemin spirituel.On vient s’informer, recueillir des informations, on faitdes stages ; mais finalement il n’y a pas de véritableengagement.

Que veut dire renoncer ? C’est dire non à lasouffrance et à ses causes. C’est tourner le dos et faireface à une autre perspective. Alors il faut engager un premierpas puis un autre. Cela prend la forme d’un chemin. Mais cetengagement a besoin de définir un cap sur lequel s’y tenir.Et c’est l’aspiration qui évalue le bien fondé del’objectif : on va vers l’Éveil.

Si notre chemin s’appuie sur le renoncement, notreaspiration y trouvera l’élan nécessaire pour parcourir lechemin et atteindre l’objectif.

Dans le Vajrayana et en particulier dans le Mahamoudra, oncompte douze préliminaires. Vous les trouverez en détails dansle livre « Le Mahamoudra » du IXe Karmapa (ÉdMarpa) :

- les quatre idées fondamentales qui détournentl’esprit du samsara

- les quatre préliminaires spécifiques qui sont lesméthodes pour se libérer du samsara

- les quatre conditions qui apportent une fiabilité à notreengagement tout au long du chemin vers l’Éveil.

La première des quatre conditions est le renoncement,considéré comme condition causale à la réussite spirituelle.Elle est causale au sens où le renoncement nous détourned’une chose et nous oriente vers une autre. Le renoncementest générateur d’une résolution, d’unengagement, d’une orientation, d’une giration,d’une conversion… qu’importe le mot… Pour quenotre renoncement relève d’un engagement responsable, sainet décisif, il nous faut respectivement aborder l’étude,la réflexion et la méditation des quatre idées fondamentales.

Ces quatre idées sont fondamentales au sens littéral du mot.Il faut les méditer jusqu’à leur intégration. Ainsi notreesprit se détourne des mécanismes du samsara en lui insufflantla nécessité du chemin et l’enthousiasme à pratiquerjusqu’à l’Éveil. Ce sont des moyens pour stimulernotre ardeur en devenant une référence à chaque moment deparesse ou de découragement. Leur méditation donnel’impulsion nécessaire à l’aspiration versl’Éveil. L’aspiration a besoin d'un moteur, d’unerésolution ferme. Il ne s’agit pas de méditer par exemplela souffrance ou la mort pour finir par un constat résigné. Iln’y a pas l’idée de résignation dans le renoncement.Le fait de se savoir malade entraîne une suite deconsidérations, d’actions et de résolutions. On vareconsidérer par exemple notre alimentation, étudier les causesde notre maladie voir les différents points de vue destraditions médicales, puis enfin prendre un rendez-vous avec unmédecin pour nous soigner.

Ces quatre idées sont fondamentales tout au long de notrecheminement spirituel. Il ne s’agit pas d’uneméditation destinée exclusivement aux « nouveauxvenus » et dont on pourrait se dispenser après quelquesannées d’ancienneté.

Pour la pratique du Mandala Yoga, j’ai adopté le textedes quatre idées fondamentales que l’on trouve dans lesenseignements d’or des dakinis de sagesse Soukhasiddhi etNigouma. Le yogi tibétain Kyoungpo Néldjor reçut d’ellesla transmission des six yogas essentiels qui fait toutel’originalité de la lignée Shangpa. Soukhasiddhi étaitune petite femme qui vivait en Inde misérablement avec son mariet ses six enfants. Un jour de grande pauvreté, alors que tousétaient partis en quête de nourriture, un mendiant vint à laporte réclamer à manger, et elle lui donna le dernier pot deriz qui leur restait. Quand le mari et les enfants rentrèrentépuisés sans avoir rien trouvé, ils demandèrent à la mèrede faire cuire la dernière ration de riz. Elle leur ditqu’elle avait pensé qu’ils ne rentreraientqu’après avoir trouvé de la nourriture et qu’ellel’avait donné à un pauvre homme miséreux. A ces mots,furieux, ils la chassèrent de la maison. La vieille femme quittaalors sa région pour se rendre dans celle d’Uddiyana (tib.Orgyen) où elle devint vendeuse d’alcool. C’est ainsiqu’elle fit la connaissance de son maître Viroupa.Celui-ci, surpris par sa foi et sa générosité, désira laguider hors du samsara et lui conféra au complet les quatreinitiations. Le jour même, elle obtint, à 61 ans, le pleinEveil de la nature de bouddha et son corps prit l’apparenced’une jeune fille de seize ans. On l’appela alors ladakini de sagesse Soukhasiddhi, ce qui veut dire« accomplissement de félicité », parce quec’est le cœur même de sa pratique et de son Eveil.

 

2) Les quatre idées fondamentales 

Pour étudier en détail ces quatre idées fondamentales avecun aperçu traditionnel, reportez-vous aux livres suivants quecertains ont déjà étudiés : « Le Flambeau de laCertitude » de Djamgueun Kongtrul (Éd Marpa), « LeChemin de la Grande Perfection » de Patrul Rinpotché (ÉdPadmakara) et bien entendu « le Précieux Ornement de laLibération » de Gampopa (Éd Padmakara).

a. le précieux corps humain

« Pourvu des huit libertés et dix qualifications,le corps humain est supérieur à celui d’un dieu,et son obtention est pareille à un joyau trouvé par un mendiant.De maintes façons, par les conditions, les probabilités et les exemples,Hormis cette vie-ci, son obtention est difficile.De plus, il est impermanent comme une bulle d’eau,et il est sûr qu’il sera détruit rapidement.Alors, rien d’autres, hormis le Dharma, ne pourra m’aider.C’est pourquoi il faut pratiquer la voie profonde,essence de tout le Saint Dharma. »

La première idée fondamentale est une réflexion sur unecondition humaine pourvue des huit libertés et dixqualifications. Dans ces vers, se détachent troisaspects qui caractérisent la précieuse existence humaine :sa chance, sa rareté et sa précarité. Ensuite, on termine surla nécessité de pratiquer le Dharma.

Cette chance d’avoir actuellement obtenu une renaissancehumaine dotée des libertés et des qualifications estsemblable à un joyau trouvé par un mendiant. On se croitpauvre, démuni, sans moyen alors qu’on a au fond de sonpropre jardin un trésor caché. Nous avons à portée de main lacondition la plus favorable qui soit pour étudier, réfléchiret méditer.

En effet, l’esprit peut prendre des renaissancesdifférentes, des modalités d’existences différentes enfonction du karma et des conditionnements perturbateurs.Traditionnellement, on parle de quatre continents et toutparticulièrement dans celui de Dzambouling, gouverné par lasoif, on parle de six classes de renaissances du samsara. Lesenfers, les esprits avides (ou esprits errants), les animaux, lesdieux, les demi-dieux et les hommes. Parmi toutes cesexistences, l’existence humaine est la seule favorableà un cheminement spirituel. Dans les autres continents etrenaissances, on ne peut pas même générer une velléitéd’aspiration.

Dans les enfers, les êtres vivent des souffrances extrêmeset incessantes. La souffrance infernale plonge l’être dansune perception sans aucune perspective d’échéance.L’esprit est dans un abîme de terreur sans la moindrepossibilité d’envisager une fin. L’être des enfersest en situation récurrente fermée sur elle-même. Unenseignement sur l’impermanence de la souffrance, sonillusion ou sa vacuité ne peut pas être entendu.

Dans le monde des dieux, c’est la loi de l’orgueilet du luxe. Les êtres expérimentent une hypertrophie desatisfactions due à l’autosuffisance et à l’orgueil.Là non plus, un enseignement sur l’impermanence de lasouffrance, son illusion ou sa vacuité ne peut pas êtreentendu.

Dans le monde des hommes par contre, un enseignement surl’impermanence est crédible parce que l’humainexpérimente suffisamment de fluctuations entre bonheur etsouffrance. Un enseignement sur l’illusion est crédible.Nous avons tous fait l’expérience de malentendu, deprojection qui font la fluctuation des désirs et des haines. Unenseignement sur la vacuité est envisageable si tout au moins onen soupçonne les symptômes à travers nos sentiments devanité, de désillusion, de déception. Il nous est donc" loisible ", ne serait-ce qued’appréhender l’enseignement spirituel. C’est unedes libertés qui rend précieuse cette existence. Si de plus ilnous est " loisible " d’y réfléchir etde le comprendre, nous disposons d’une autonomie qui nousfera devenir l’acteur de notre engagement et de notreaspiration.

Cette condition humaine n’est certes pas une conditiontoute satisfaisante. La maladie, la vieillesse et la mort ne nouspermettent pas de vivre en toute insouciance. On sera tôt outard confronté à une réalité existentielle. De plus,l’homme n’est pas tendre avec lui-même. Il y al’égoïsme, la haine, les conflits, les guerres. Cependant,nos insatisfactions morales nous interpellent sur notre conditionmême d’humain. Elles ouvrent sur des questionnements plusessentiels que la recherche de satisfactions immédiates. Cesquestionnements commencent souvent très jeune puis parfoiss’estompent avec l’âge devant les consensus familiauxou sociaux. Il faut se permettre d’être interpellé etdéstabilisé par nos interrogations devant ce qui semblen’être que vanité. C’est notre chance, notre fortune,notre beauté.

En tant que telle, l’existence humaine est donc la pluspropice à s’élever (de sa condition) et se libérer de sesconditionnements et illusions. Elle est propice à écouter desenseignements spirituels, mais pas seulement bouddhistes.Aujourd’hui, en Occident, on a la chance d’avoir accèsà différentes traditions de sagesse, qu’on les nommereligion ou philosophie, pourvu qu’elles s’appuient surdes valeurs universelles comme l’éthique, la compassion etune sagesse de l’esprit. Les êtres éveillés tels que leChrist, les Prophètes du Judaïsme et de l’Islam, lesAvatars de l’Hindouisme, les Éveillés du Bouddhisme etbien d’autres se manifestent principalement chez les êtreshumains afin de transmettre une Voie, une Loi, un Dharma, un Tao.Ils offrent une issue à notre la souffrance parce que notre soifinterpelle leur compassion omnisciente, omniprésente etinconditionnelle. Je l’appelle souvent une compassion "omnibus ". Elle s’arrête en tous lesêtres de bonne volonté. Cette compassion est en libre service.Elle n’est pas sous l’influence d’une élite, despremiers de la classe, des fayots du rituel, des athlètes de lapénitence et de l’ascèse, des champions "réponses àtout", des supermasters qui ouvrent les chakras etsupervisent les auras, des " toujours propres sursoi ", des " jamais pris audépourvu " etc. etc. Soyons humain ! Curieux,faillibles, honnêtes, ridicules parfois…

Cette condition humaine ne suffit pas en elle-même pourpouvoir maintenir un cheminement jusqu’à son terme :le plein Éveil. Pour qu’elle soit pareille à un joyau, illui faut être libre et qualifiée. Nous sommes tous différentset singuliers. À travers les différentes conditionsexistentielles, culturelles, sociales et historiques quel’on rencontre dans ce monde, chaque individu répond selonses propres aspirations, son discernement intime du bien et dumal, sa conception personnelle du bonheur ou de la souffrance,avec plus ou moins d’intelligence, d’exigence et depatience. Une infinité de causes et circonstances extérieuresmêlée d’une diversité de perceptions et réactionsintérieures créent finalement ce qu’on appellel’humanité. Un cocktail d’expériences qui peutparfois produire un sentiment d’inégalité des chancesdevant notre légitime aspiration au bonheur. La naissancehumaine est une chance prévisionnelle comme celle d’avoirun trésor dans le fond de son jardin. Cela ne suffit pas. Encorefaut-il le trouver ! Le texte dit :

« Pourvu des huit libertés et dix qualifications,le corps humain est supérieur à celui d’un dieu,et son obtention est pareille à un joyau trouvé par un mendiant ».

Une existence humaine n’est un joyau trouvé quelorsqu’elle est pourvue des huit libertés et des dixqualifications. La chance n’est plus alors prévisionnellemais effective. En tant qu’être humain, nous sommes libresdes conditionnements défavorables propres aux autres modesd’existence. On doit pouvoir disposer également deconditions favorables liées aux circonstances de l’époqueet des lieux. Si on réfléchit à notre situation actuelle, ontrouvera de nombreuses opportunités que notre société actuellenous apporte, comme la liberté des cultes, le progrèstechnique. Kalou Rinpotché nous faisait remarquer la chanced’avoir un climat tempéré contrairement à l’Inde oùla forte chaleur n’encourage pas toujours à la méditation.On dispose d’un confort, à la fois matériel et moral.Vivant dans un pays tolérant, nous ne sommes pas sous la menaceconstante d’agression ou de guerre civile. Dans une certaineurgence, il ne nous serait pas loisible de se préoccuper denotre pratique spirituelle. Enfin, il convient aussid’évoquer ce qu’on peut appeler l’opportunitécorporelle, c’est-à-dire avoir toutes nos facultéssensorielles et mentales.

D’autre part, il faut être également libre deconditionnements psychologiques perturbateurs qui nous éloignentd’une éthique élémentaire et d’une sollicitude pourautrui, d’une aspiration au bien. Un esprit encombré deconcupiscence, de violence, de léthargie, de futilité oud’arrogance trouvera peu d’intérêt dans destraditions spirituelles ou philosophiques. Il ne témoigneraaucun respect pour leurs enseignants parce qu’il ne sauraitestimer la valeur d’une transmission. Ces qualifications nedépendent que de notre propre effort pour les acquérir dans lecourant même de cette vie.

Ces libertés et qualifications sont dues à une accumulationde mérites et de vertus acquises durant des vies antérieurescertes, mais également en cette vie même. Le devenir d’unêtre se construit d’une suite de perceptions et réactionsau gré des causes et circonstances qui se présentent. Ondevient ce que l’on fait. Il n’y a pas deprédéterminisme. À chaque instant, nous avons la liberté denos orientations, de nos intérêts, de nos résolutions. Danschaque situation, nous avons la possibilité de recevoir et dedonner. C’est en cela que l’existence humaine estprécieuse car le sens même de l’humanité est detransmettre.

Après avoir considéré la chance d’avoir obtenu cetteexistence humaine libre et qualifiée, on réfléchit sur ladifficulté de son obtention.

« De maintes façons, par les conditions, les probabilités et les exemples,Hormis cette vie-ci, son obtention est difficile ».

Si aujourd’hui, en cette vie, nous avons pu obtenir uneexistence humaine, il n’est pas dit que cela se reproduiradans les vies suivantes. Les conditions, les paramètres, sontdifficiles à réunir. Les probabilités sont infimes.L’existence humaine est donc rare, ce qui la rendprécieuse. Renaître en tant qu’humain est très rare parceque les conditions karmiques sont rarement réunies. Il faut uneaccumulation d’actes vertueux et de bienveillance pour avoirdes conditions favorables à une renaissance humaine libre etqualifiée. Cette vertu de bienveillance et d’amour est unfondement de la nature humaine. Elle est associée au désir qui,selon le Mahayana, est une émotion qui peut être vertueuse. Ledésir-attachement est caractéristique de l’être humain.Le désir d’être aimé nous amène à aimer l’autre etl’on s’aperçoit qu’en aimant l’autre, on estaimé. Le désir est fondateur des relations humaines et de sonorganisation sociale, politico-religieuse. En approfondissantl’analyse, on peut concevoir le désir comme le moteur del’évolution de notre espèce. Mais on en reparlera plustard !

Au moment de la mort et dans le bardo, cette vertu de désirbienveillant, même confuse, induit une opportunité et unetendance à renaître en tant qu’humain. Certains meurentdominés par la haine ou l’aversion et ils renaissent dansles enfers. D’autres, dans une léthargie mentale.D’autres encore dans une sorte d’autosuffisance etd’orgueil. Le nombre d’humains sur terre ne cessed’augmenter. Sans doute faut-il s’en réjouir !Mais, encore une fois la condition humaine ne fait pas tout. Ilest nécessaire qu’elle soit libre et qualifiée. 

Pour montrer l’infime probabilité à renaître en tantqu’humain, le Bouddha donna l’exemple d’unetortue. Dans La Marche vers l’Éveil de Shantidéva, il estrelaté ainsi :

« En conséquence, dit le Bouddha, il est aussi difficileDe devenir un homme que pour une tortue de passer sa têteDans un joug ballotté sur les flots de l’immense océan ».

La rareté d’une existence humaine, libre et qualifiée,peut aussi être illustrée par une suite de dénombrements. Parexemple, le nombre des êtres dans le samsara estincommensurable. Il serait encore plus facile de compter lenombre de grains de sable des fleuves et des plages réunis.Maintenant, le nombre d’êtres ayant une propension à lavertu et susceptible de renaître dans une précieuse existencehumaine se compte comme les étoiles visibles une nuit de pleinelune. S’il fallait encore compter le nombre d’êtreshumains qui pratiquent une voie spirituelle, ils seraient aunombre des étoiles visibles au crépuscule. C’est unexemple. Venons-enau troisième aspect de cette existence humaine : saprécarité.

De plus, il est impermanent comme une bulle d’eau,et il est sûr qu’il sera détruit rapidement ».

Le corps est fragile, précaire, impermanent comme une bulled’eau. Cette précarité rend d’autant plus précieusel’existence humaine. Le corps est fragile. Un choc, unechute, un rien peut entraîner la mort. Le corps est composé etce qui est composé se décompose. Le temps passe vite. Unejournée passe vite. On se souvient d’un évènement ;c’était déjà l’année dernière ! On naît, ontravaille, on meurt… Est-ce qu’on s’interroge ouest-ce qu’on laisse passer une journée de plus…

On a la chance d’avoir une orientation spirituelle etnotre corps est d’autant plus précieux qu’il aide àla pratique. Il faut en prendre soin. Prendre soin de son corps.Ne pas le mettre en danger. Il nous aide à l’accumulationde mérites par la pratique des prosternations par exemple (voirannexe). Dans le Yoga, le corps humain est considéré précieuxdu fait de sa configuration spécifique de canaux et soufflessubtils propice aux expériences profondes de Clarté, Félicitéet Vacuité. On pourrait dire que « le corps humain est àl’image de Bouddha ». C’est la seule conditioncorporelle avec laquelle on peut, de son vivant,s’éveiller.

Une fois qu’on s’est pénétré des trois aspects decette précieuse existence humaine (chance, rareté,précarité), on termine sur la nécessité à pratiquer leDharma.

« Alors, rien d’autres, hormis le Dharma, ne pourra m’aider.C’est pourquoi il faut pratiquer la voie profonde,essence de tout le Saint Dharma. »

Les quatre idées fondamentales se présentent de façonsimilaire. On nous annonce deux nouvelles : une mauvaise etune bonne ! Et on commence par la mauvaise. On a unprécieux corps humain mais le temps est compté. Peut-êtretrente ans, peut-être un an, peut-être deux jours, on ne saitpas. On a tout ce qu’il faut mais on ne nous garantit rien.Le corps est fragile, précaire, etc. On est comme un mendiant àqui on apprend qu’il possède un trésor sans lui dire oùet comment le trouver. Si on devait en rester là, on risque fortde se retrouver dans un état d’abattement et de déprime.À ce stade, c’est comme se retrouver sur son palier, à laporte de chez soi en ayant oublié sa clé à l’intérieurde la maison. On se retrouve sans recours.

La bonne nouvelle, l’espérance, c’est qu’on ale Dharma. Une perspective s’ouvre à nous, une possibilitéd’initiatives et d’actions. On ne reste pas planté làdevant sa porte close à se lamenter sur son sort. On va sebouger. On dispose de quelque chose entre les mains. Quand on ditque seul le Dharma nous sera utile, ce n’est pas qu’oncherche à convertir qui que ce soit. Certains d’entre vousne sont pas particulièrement bouddhistes. Il s’agit avanttout d’être profondément convaincu que nous disposonsd’une issue à la souffrance et à la fatalité et que toutdépend de nous. Nous disposons d’une voie spirituelle avecses méthodes. À nous de les mettre en œuvre. Il nes’agit pas de croire mais de secouer notre paresse et dedissiper nos illusions. La pratique du Dharma nous permet defaire des expériences valides qui seront utiles au moment de lamort car alors nous ne pourrons que nous remettre à notrepratique et nos expériences. Il faut s’impliquer de toutenotre âme. C’est notre propre existence humaine qui est enjeu.

 

Quelques mots sur la méditation conceptuelle

Quand on médite sur des idées comme celle-ci ou sur desnotions comme l’amour, la compassion ou les paramitas, cesont des méditations conceptuelles. Dans le tantrayana, lemantrayana et les yogas essentiels, les méditations peuventêtre qualifiées de contemplatives. On y associe lavisualisation, la récitation de mantra et des exercices desouffles subtils.

Toute méditation commence par la concentration, puis lastabilisation et enfin le recueillement équanime. C’est laméditation du calme mental (tib. chiné, sct. samatha). Leprincipe de chiné, c’est de placer son esprit dans uneconscience recueillie, non perturbée d’opinions, sans apriori. Si on médite avec des opinions telles que « oui jesais, j’ai déjà vu ça », on ne va pas permettrel’intégration de l’idée dans le continuum de notreêtre. Prenez en considération l’objet de concentration quien l’occurrence est une idée, un concept. C’est unenotion à laquelle on aura bien réfléchi au préalable, car aumoment de méditer, on abandonne tout intellectualisme, toutraisonnement. La réflexion entraîne une convictionintellectuelle. Elle est nécessaire pour ensuite méditer surdes concepts. Cette conviction assure, dans notre méditation,une stabilité de recueillement et une certaine naïveté. Ondoit pouvoir se permettre une découverte, une surprise.

Il convient donc de se pénétrer de cette notion, de s’yrecueillir, de s’imprégner du concept. Par la force del’étude et de la réflexion, il va y avoir un sens ou uneimage qui nous accrochera plus que les mots. On va être touché,inspiré. Ce sens, cette image, on se l’approprie. Cela nedoit pas rester une idée abstraite, théorique. On apprivoise leconcept. On capte quelque chose et on se place confortablementdans la posture. La posture va permettre de se recueillir maisparfois un recueillement vient spontanément, assis sur uneterrasse d’un café ou après une belle balade.

Dans la méditation conceptuelle, on va unir nos efforts devigilance et de lucidité sur l’idée. C’est notreeffort de concentration. On ne se regarde pas méditer.Simplement savoir si on a cette notion à l’esprit. Et on nese laisse pas distraire. On va être vigilant à toutedistraction qui n’est pas cette notion. Il est en effettrès important de ne pas laisser son esprit vagabonder dans unesorte de débat. Dans la distraction, rien ne peut éclore oufleurir à l’esprit. La méditation ne portera pas de fruit.Pour arriver à une intégration capable de dissiper les voilesde l’habitude ordinaire, il faut obtenir la stabilisation del’esprit sur l’idée à méditer pour déboucher sur unrecueillement équanime. On est constamment distrait, on gaspillenotre temps, on se divertit de l’essentiel. Notre vies’écoule jour après jour. La méditation s’infiltredans notre propension égocentrique. L’écoute,l’étude et la réflexion vont devenir des outils, desréflexes à la méditation. Plus on réfléchit, plus c’estfacile de méditer, de se recueillir et d’intégrer unenotion du Dharma comme une évidence. Et ça change la vie parpetites bribes, à dose homéopathique.

 

b. l’impermanence et la mort

« Le réceptacle qu’est le monde extérieur sera détruit par le feu et l’eau.Mois et saisons ne durent qu’un instant.Tout est lié par les quatre limites de l’impermanence.Tout ce qui naît doit mourir.La vie est telle un éclair ou une perle de rosée.Entre demain ou une vie suivante, on ne peut être certain de ce qui va suivre.Si on ne pratique pas le dharma quand il est présent à notre esprit,emporté par les démons de la paresse et de la distraction,on devra partir nu et les mains vides.C’est pourquoi je pratiquerai le Dharma sans perdre de temps. »

S'il fallait faire un choix, des quatre idées fondamentales,la réflexion sur l’impermanence et la mort est la plusimportante. Elle est à méditer encore et encore, il faut sanscesse y revenir. L’idée ici, c’est de réaliser que,dans notre condition actuelle, c’est-à-dire d’êtrenon éveillé, on va expérimenter la mort, la mort du corps etla séparation de notre esprit égocentrique avec le corps. Lecorps est mortel, on va souffrir des affres de la mort, quitterles êtres qui nous sont chers, quitter notre petit confortspirituel, notre paresse, notre routine et être emporté dansl’inconnu, ce qui va créer de la souffrance, de la peur...Et c’est désagréable ! Les mots de Soukhasiddhi, parleur poésie et les images qu’ils évoquent peuvent êtreune source d’inspiration.

« Le réceptacle qu’est le monde extérieur sera détruit par le feu et l’eau ». 

Ici, le réceptacle désigne l’environnement, le mondedans lequel on va avoir l’expérience, ça peut être lesenfers, le monde des dieux. Pour les êtres humains, c’estla Terre, soumise aux deux éléments qui sont à l’originedes modifications et des destructions, à savoir le feu etl’eau.

« Mois et saisons ne durent qu’un instant ».

Les années passent vite. Un an, une semaine, une journéepassent vite. A chaque fois qu’on réalise cela, il fautréaliser que la mort se rapproche.

« Tout est lié par les quatre limites de l’impermanence ».

Les quatre limites, on dit parfois les quatre"extrêmes", ce sont les quatre modes que prendl'impermanence. Tout d’abord, on dit que « toutce qui est haussé se rabaisse, tout ce qui est élevé, érigé,se détruit ». Une maison un jour ou l’autre seradétruite, une notoriété, si grande soit-elle, s'effondrera. Onpeut même prendre l’exemple d’un individu : ilgrandit, puis la vieillesse venant, il commence à se tasser.

Ensuite, « tout ce qui est acquis, amassé, sedisperse ». Puis « tout se qui est composé sedécompose ». Le corps est composé et se décomposera.Cela est vrai aussi à un niveau moral. L'image que l'on a desoi-même est aussi composée de causes et circonstances. Enfin,« tout ce qui est réuni se désunit », par exempledeux amis qui deviennent des ennemis ou une famille au complet.Parents, enfant, chien, chat etc... Un jour le chat meurt, lesenfants quittent le foyer pour se marier, les deux vieux seretrouvent seuls avec "l'horloge qui dit oui qui ditnon". C'est dans la chanson de Jacques Brel.....

« Tout ce qui naît doit mourir.» 

Qui dit naissance, dit création et s’il y a créationc’est qu'il y a composition d'éléments. Tout ce qui estcréé est composé, construit. Une table est créée, composéede plusieurs éléments. Le plateau, les pieds, les vis etc. Lebois même de la table est composé. Or tout ce qui est composése décompose. Parce que le corps est composé, il se décompose.Ce qui est poussière redevient poussière. Notre corps estcomposé, notre existence est composée. L'idée même d'être unhomme ou une femme, n'a pas d'existence intrinsèque. Cette idéeest composée. C'est une construction de l'esprit qui la prendpour une caractéristique définitive de notre être. C'est uneillusion de l'égocentrisme. C'est cela qui naît et qui meurt.

Cette méditation amène à la certitude que nous-même, nosproches et tous les êtres sans exception prennent naissance etmeurent. Pas un être n’échappe à cette réalité.

« La vie est telle un éclair ou une perle de rosée.Entre demain ou une vie suivante, on ne peut être certain de ce qui va suivre. »

On est certain de mourir, la vie est impermanente. De plus, lavie est très fragile. Elle dépend d’une réunion de causeset de circonstances. De fait, le moment de notre mort estincertain. On ne sait ni quand, ni comment. On peut sortird’ici, tomber dans l’escalier ou se faire renverser parune voiture. On peut mourir ce soir dans notre sommeil. Ons’endort et on ne sait si on va se réveiller demain ou dansle bardo d’une prochaine existence. On peut mourir dans sonlit, dans un accident de la route, d’une crise cardiaque,d’une maladie foudroyante... Différents évènementspeuvent provoquer la mort. C’est l’aspect précaire etaléatoire de la vie. On ne peut pas se fier à elle car ellepeut nous lâcher à tout moment. Et cette incertitude nousamène à nous convaincre qu’il est urgent de pratiquer. Ilne s’agit pas d’être stressé pour autant mais devenirmoins futile. Nous nous préoccupons souvent de satisfaire desbesoins immédiats ou bien nous dépensons beaucoupd’énergie dans des projets sans véritable utilité à longterme et pour le bien d’autrui.

« Si on ne pratique pas le dharma quand il est présent à notre esprit, »

Le dharma, c’est la loi, une loi de lucidité et deconnaissance. Ça peut être le bouddhisme, le christianisme, oun’importe quelle pratique qui contrarie l’impermanenceet la mort. Toutes les pratiques religieuses invitent àcontrarier la mort. Il n’y a pas de fatalité. Certes ilexiste d’abord une fatalité au niveau de l’ego, maiscelle-ci peut être dépassée : il suffit de s’enlibérer. Si on ne profite pas de cet instant pour pratiquer ledharma quand il est présent à notre esprit, on n’est passûr de le retrouver dans une autre vie.

« emporté par les démons de la paresse et de la distraction, »

La paresse est très subtile. La paresse, c’est laroutine et la routine, c’est s’habituer. La paresse,c'est rester prisonnier de nos idées toutes faites. Dire parexemple « non, je n’arriverai pas à pratiquer »ou « ce ne sera pas possible de m’éveiller »,c’est aussi de la paresse. La distraction, c’est ledivertissement, le fait de se trouver une diversion pour n'avoirpas à sortir de notre paresse et de nos habitudes et s'éviterainsi un questionnement plus essentiel. La distraction, ce n'estpas forcément la sortie au cinéma ou au restaurant. Maisparfois, il peut arriver de se sentir un peu"chiffonner" ; une petite déprime, un sentiment desolitude, un désagrément, un manque… toutes ces petitescontrariétés qui nouent le cœur sont des invitations à unrecueillement. Cependant, c’est dans de tels momentsqu’on peut être tenté d’échapper à cesdésagréments par des compensations. Trouver une diversion, undivertissement. Se distraire de l’essentiel. Mêmel’adhésion à une pratique religieuse peut être une formede diversion. Notre paresse et nos divertissements peuvent êtretrès subtils. Le contraire de la distraction, c’est lavigilance. Sans vigilance, il n'y a pas de questionnement, deconfrontation. Il faut être vigilant sur sa façond’adhérer à la pratique. La méditation sur la mort est,là aussi, très efficace pour stimuler notre authenticité.

« on devra partir nu et les mains vides.C’est pourquoi je pratiquerai le Dharma sans perdre de temps. »

La première phase de la méditation consiste à accepter laréalité de l’existence, la réalité de notre expérience,en particulier face à la mort. Mais il ne faut pas en restersimplement à l’aspect triste de l’impermanence et dela mort. On meurt, on meurt…ça ne suffit pas ! Onmeurt mais il y a un dharma qui peut nous délivrer de la mort etqui fait qu’on ne sera pas sans recours le moment venu. Lamort en elle-même n’a pas d’existence propre non plus.C’est la mort d’un système égocentré, de notreégocentrisme habituel. La mort n'est pas un état maisl'expérience de l'esprit dans l'illusion. Si nous parvenons àreconnaître puis dissiper les conditions qui plongent l'espritdans l'illusion vient la réalisation de la non-mort de notrenature fondamentale. La mort est un facteur mental construit detoutes pièces par notre illusion égocentrique. Maisl’esprit en tant que tel ne meurt pas. Seulement nousignorons la nature fondamentale de notre esprit. Aussi laméditation doit-elle se poursuivre sur la certitude qu’iln’y a que le dharma qui peut nous aider, c’est-à-direnotre propre pratique et l’expérience de cette pratique.Une fois bien placé dans cette certitude de l'impermanence et dela mort, on se place dans l’aspect positif. Qu’est-cequi nous reste ? Sur quoi peut-on compter ? A quoipourra t'on s'en remettre ? Le Dharma et son expérienceauthentique.

Peut-on compter sur nos propres pouvoirs ? Même despouvoirs spirituels ne serviront à rien au moment de la mort.Même un grand fakir qui traverse les murs. Au moment de la mort,ça ne tiendra pas la route. Ces pouvoirs sont associés aux cinqéléments et ce qui va se décomposer, c’est lacollaboration de ces cinq éléments. Donc, même les pouvoirsdits extrasensoriels ne peuvent pas être utiles.

Le pouvoir de l’argent non plus, le pouvoir de manipulerles gens, le pouvoir politique, tout cela ne pourra êtred’aucune utilité. Ni l’argent, ni l’amour ni lapuissance, ni la gloire, ni la notoriété, ni mêmel’anonymat, tout cela ne servira à rien. Peut-on quandmême compter sur ses amis ? Ni nos amis, ni nos ennemis caron sera seul pour expérimenter le moment de la mort. On serapeut-être accompagné pendant le processus de la mort mais onsera seul face à l’expérience même. Donc, il faut leméditer et en être certain pour ne pas avoir de mauvaisessurprises au moment de la mort. Ne nous racontons pasd'histoires.

On s'en remet aux qualités de la nature fondamentale de notreesprit. Cette nature est Bouddha. On s'en remet à la méthodequi nous fait réaliser cette nature de Bouddha. C'est le Dharma.On s'en remet aux Lamas qui nous enseignent ces méthodes. C'estla Sangha.

Dans un premier temps, on va pouvoir compter surl’éthique, c’est-à-dire sur le fait d’avoirdéveloppé une vigilance sur nos intentions. Sont ellesvertueuses ou non. Cependant, cette vigilance dans l'éthique nedoit pas devenir fanatique et moralisatrice, c’est-à-direune vigilance investit d'une idée de perfection. L'idée deperfection entraîne l'idée d'imperfection. Cela risqued’amener un mal-être ou bien d'être dans des jugementscontinuels. Cette attitude est très pénible, et pour soi-mêmeet pour les autres si l'on décide de projeter l'imperfection surl'autre. Certains s'approprient le code éthique comme un manueldu parfait inquisiteur. Ils s'octroient le droit de rétribuerles mérites, les compliments, la hauteur des offrandes, lestitres mêmes ; lama, vénérable, très vénérable. L'éthiquedoit nous amener à une certitude sur nos propres intentions quideviennent ainsi de plus en plus claires, entraînant assuranceet légitimité. Il n’y a pas de perfection. Il ne faut paschercher à devenir infaillible, parfait. La vie n’est pasfaite comme ça. Ce qu’il y a d’intéressant dansl’éthique, c’est l’honnêteté. Ethique, ensanscrit Shila, a le sens de "frais". C'est un rapportd'honnêteté avec soi qui nous rend frais. C’est un peucomme pour un ordinateur avec un abonnement à unantivirus : tous les jours on procède à une mise à jourcontre les derniers virus. L’éthique nous permet detoujours nous renouveler. C’est le but del’éthique ; c’est rafraîchir constamment le« disque dur ». C’est comme aller sur internet.Il y a systématiquement des virus et des spams. On est tousprévenus, mais par contre on nous dit « prenez un bonlogiciel antivirus » et en plus il y en a des gratuits.Dans l’éthique, on paie parfois un peu. On paie de sapersonne. Se voir sous un mauvais jour, pas très honnête,méchant, égoïste, orgueilleux … ça nous coûte. Maisc’est aussi très enthousiasmant. La confession estenrichissante car elle nous rend, non pas complaisant, maisindulgent.

Au moment de notre mort, notre pratique de l'éthique, avec cerapport d'honnêteté, nous permettra de n'avoir ni honte niregret. Et dans le cas contraire, il est toujours temps de seconfesser ou encore de parler ouvertement à nos proches.

Ensuite, au moment de notre mort, on va pouvoir s'en remettreà notre confiance, à notre foi. La confiance, ou la foi, seconstruit avec l'écoute, la réflexion et la méditation. Ilpeut y avoir d'abord une confiance affective : celle despremiers moments, par exemple un bon feeling, « j’aimele bouddhisme », « j’aime bien les lamas ».Mais ce n’est pas suffisant. Il faut la confiance de laconviction qui s’acquiert avec la réflexion et la confiancede l'expérience, la foi, qui s'acquiert avec la méditation. Lapratique du Dharma se résume à la pratique de l'écoute, de laréflexion et de la méditation. Par la simple force de la foi,le dharma bouddhique, le dharma chrétien ou le dharma islamique,tous les dharmas authentiques de ce monde permettent au moment dela mort, à tout le moins de se libérer de la souffrance.

Méditer sur la mort amène à s’interroger ce sur quoion peut s’en remettre. Cultiver la réflexion surl’impermanence et la mort, c’est, parmi les quatreidées fondamentales, celle qui est la plus efficace pourstimuler sa pratique du dharma, se détourner du samsara etaspirer à quelque chose de plus essentiel et de plusbénéfique.

 

c. le karma et la loi de causalité

«  Au moment de la mort,même ayant tous les pouvoirs d’un monarque universel,ils resteront derrière nous,et nous devrons errer seuls dans le bardo.Les conséquences des actes positifs et négatifsnous suivent, comme l’ombre suit le corps.Les actes commis ne se perdent paset il est impossible de ne pas être confronté à ce qu’ils ont produit.Les actes s’amplifientet les résultats des actes positifs et négatifs, bonheur et douleur,mûrissent inexorablement pour leur auteur.Alors que ce monde ne dure qu’un instant,le samsara est d’une éternité sans fin.Maintenant, pour éviter ma propre perte :d’une manière générale, je reste convaincu de la causalité karmique,et en particulier, je préserve mes vœux et engagements sans me couvrir de fautes ».

 

Le Bouddha Shakyamouni enseigna cinq processus causal.

1. le processus du karma

C'est l'ordre au niveau du mental illusionné (souillé) avecl'idée de cause et conséquence. En résumé : tout acte mental(intention) vertueux produit un fruit vertueux et tout actemental non vertueux produit un fruit non vertueux.

2. le processus physique inorganique

C'est l'ordre au niveau des phénomènes du monde, par exemple; les phénomènes saisonniers des pluies et des vents.

3. le processus physique organique

C'est l'ordre au niveau du monde végétal, par exemple ; unegraine de blé produit du blé, la saveur sucrée produite par lacanne à sucre ou le miel.

4. le processus de l'esprit

C'est l'ordre au niveau de la conscience avec ses différentspouvoirs, par exemple ; la clairvoyance, la clairaudience...

5. le processus du Dharma

C'est l'ordre au niveau de la Loi. Les phénomènes qui semanifestent par exemple lors de la dernière naissance d'unBodhisattva...

Tous ces processus s'imbriquent les uns aux autres dans unesubtile et parfaite interdépendance qu'il sera impossible demettre en équation.

Pour ce qui nous concerne présentement on s'en tiendra àl'affirmation simple et claire : tout acte (mental) vertueuxproduit un fruit vertueux et tout acte non vertueux produit unfruit non vertueux.

«  Au moment de la mort,même ayant tous les pouvoirs d’un monarque universel,ils resteront derrière nous,et nous devrons errer seuls dans le bardo ».

Le bardo dudevenir qui suit la mort est un espace d'expérience qu'on peutapparenter à celui du rêve. Toutes les illusions qui s'ymanifestent sont des créations de notre propre esprit sansaucune réalité objective. Elles apparaissent au gré du karma,de nos conditionnements latents et de nos impulsions dansl'extravagance de nos fantasmes, dans des proportions sanslimites et sans en avoir aucune maîtrise. Nous prenons lesillusions pour réelles, puis nous allons les solidifierprogressivement pour finalement prendre naissance dans le domained'expérience correspondant. Supposons que, sous l'influence dela répulsion et de l'aversion générées dans la vieprécédente, notre esprit émane, comme dans un cauchemar, desformes horribles et agressives venant pour nous tuer. Plus nousavancerons dans le bardo plus cela nous semblera tangible etréel. Nous éprouverons des peurs et de l'agressivité pourfinalement créer notre propre domaine d'expérience infernal.Nous aurons pris naissance dans l'enfer. Les perceptions et leursmanifestations du bardo dépendent du karma antérieur et de noshabitudes émotionnelles. Aucun pouvoir, même celui d'unChakravartin (monarque universel), ne pourra nous réveiller dece cauchemar. Personne ne pourra venir nous tendre une perche etnous tirer de là. Pas même un Bouddha. On est en plein dans lemonde de la projection de l'esprit. C'est un domaine qui ne peutêtre pénétré que par nous-même, par la force de la vertu,par le mérite de la lucidité acquise par la méditation. On estseul.

«  Les conséquences des actes positifs et négatifsnous suivent, comme l’ombre suit le corps.Les actes commis ne se perdent paset il est impossible de ne pas être confronté à ce qu’ils ont produit.Les actes s’amplifientet les résultats des actes positifs et négatifs, bonheur et douleur,mûrissent inexorablement pour leur auteur ».

Tant qu'on restedans l'illusion égocentrique et qu'on ne s'éveille pas à laréalité primordiale, on n'échappe pas aux conséquences de nosactes, qu’ils soient vertueux ou non. Il est impossible deles enfouir indéfiniment dans un coin de notre inconscience.Tôt ou tard les conséquences de nos actes viendront àmaturité. Personne d'autre que nous ne devra en assumer laresponsabilité.

«  Alors que ce monde ne dure qu’un instant,le samsara est d’une éternité sans fin ».

Le samsara ne selimite pas à cette vie ni même à mille vies. Il ne s'arrêtepas au moment de la mort ou à la fin d'un nombre déterminé devies. Le samsara est sans fin parce qu'il est de la nature de nosillusions. Il ne cessera qu’avec elles.

Maintenant, pour éviter ma propre perte :d’une manière générale, je reste convaincu de la causalité karmique,et en particulier, je préserve mes vœux et engagements sans me couvrir de fautes ».

Il s'agit derenforcer la vigilance et d'agir en connaissance de cause. LeBouddha n'a pas exposé la loi du karma dans un simple soucimoralisateur. Il nous a informé d'un danger. Celui del'ignorance et de l'inadvertance. Il nous a enseigné toute lasubtilité de la portée de nos intentions les plus nuancées,les plus sournoises et leurs répercussions sur nos perceptionset nos sensibilités à l'échelle de l'infini. Les vœux etles engagements que nous pouvons prendre sur notre cheminspirituel ne sont pas destinés à nous tenir en laisse ou ànous réprimer. Ils nous permettent de prendre conscience de nospropensions égocentriques. C'est un exercice de mise à nu etnon pas une épreuve de sévérité.

Il conviendraitde bien réfléchir sur ce qu’on entend par karma, termelargement passé dans le langage courant mais souvent mal compriset détourné de son sens véritable, parfois même chez lesbouddhistes. En effet, il n’est pas rare d’entendrequelqu’un déclarer avec fatalisme, après un accident devoiture par exemple « Ah ! C’est monkarma ! », comme si le déterminisme était uneconséquence de cette loi. Or la loi du karma est tout lecontraire du déterminisme. La loi du karma énonce unedépendance de nature entre l'acte mental, la perception et laréactivité. Cette réactivité étant elle-même acte mental,c’est un processus sans fin tant que la réalisation du nonego ne tranche pas le cercle vicieux du samsara. La loi du karmaest le nom de ce processus qui s'établit en le mental souilléet illusionné. Le karma implique une causalité depuisl’intention jusqu’à la perception et ainsi de suite enpassant par la réactivité. C’est comme d’une fleur àun fruit et du fruit à la fleur. Le karma énonce la loid’un cycle et non pas la répétition de séquences. Pourceux qui ont déjà étudié les cinq agrégats, ce processuspeut résumer ainsi : notre karma façonne (agrégat forme) notreexpérimentation (agrégat sensation) qui, une fois saisit commeperception réelle (agrégat perception), stimule lesconditionnements latents d'une réactivité (agrégat volition).Le tout est vécu sur l'idée d'un soi destinataire (agrégatconscience de...) de tout ce qui lui arrive. L'acte impulsif(karma "infinitif") est d'ordre mental teintéd'émotion (é-motion) avec sa part de confusion etd'intentionnalité. Par projection, sur l'objet de son émotion,s'actualise alors un autre instant du processus karmique qui faittrace ; un acte délibéré (karma "participe passé")qui s'induit dans une action délibérée par une des troisportes d'action (corporelle, verbale ou mentale, une pensée).L'émotion est le vecteur par lequel s'instaure le karma. Lerapport entre émotion et karma est aussi nuancé qu'entre uneloi et son décret d'application.

Asanga aprécisé que le karma ne crée pas l'événement en soi, sinonil nous serait impossible de nous libérer de la perceptionillusoire. Il m'est arrivé d'entendre quelqu'un dire que lapersonne qui tue une autre personne aujourd’hui le fait carelle a été elle-même sa victime dans une vie antérieure. Jene sais pas si vous voyez l'absurdité d'une telle idée. A quelmoment ce processus aurait-il commencé ? Il aurait falluqu’une personne commence. Et alors son action de tuercondamnerait la victime à devenir un assassin. C'est infernal.

Je vaism'arrêter là pour l'instant. Nous approfondirons plus tard.

 

d. la défectuosité du samsara

«  Du sommet de l’existence à l’enfer le plus bas,tous les lieux du samsara, hauts et bas,sont pareils à un feu ardent et à un jardin de lames de rasoiroù il n’est aucune chance de bonheur.D’aussi loin que ce soit dans le passé,on erre dans le cycle des existences.Inépuisables sont les artifices de l’ignorance.A présent, mû intimement par une sorte de tristesseet un renoncement intense,J’entre dans la voie de la libération et du bonheur permanent.Me hâtant à la suite de la complète libération des Anciens,J’obtiendrai en cette vie l’état de Bouddha. »

Samsara a le sens de cercle vicieux, de roue viciée, polluéepar l’illusion. C’est la roue sempiternelle desnaissances et des morts sous l’influence de l’illusion.C'est le cycle des existences conditionnées. On naît, on meurtavec un lot fluctuant de bonheurs et de souffrances pourrecommencer sans cesse un nouveau cycle d’existences sansjamais pouvoir échapper aux différents types de souffrancesspécifiques à chaque type de renaissance (cf : leprécieux ornement de la libération,).

«  Du sommet de l’existence à l’enfer le plus bas,

Des plus hautes sphères du monde des dieux jusqu’àl’enfer le plus bas, le plus intolérable, le samsarareprésente toute une gamme de renaissances possibles où desêtres s'égarent dans leurs illusions et leur soif. On pourraitse demander si c’est le fait de naître qui fait qu’onest dans le samsara. Si c’était le cas, cela signifieraitd’une part, que le samsara a une réalité en soi etd’autre part, qu’un bouddha qui naîtrait seraitcontaminé par le samsara et ne pourrait donc pas être unbouddha. Or il n’y a pas de fondement au samsara.

En fait, le samsara se définit en trois points : sonfondement est vacuité, il n’a pas de réalitépropre ; la condition de sa manifestation estl’illusion ; et la caractéristique de samanifestation, son expérimentation, est la souffrance. D'autrepart, le nirvana, l'au delà de la souffrance se définit de lamême manière : son fondement est vacuité ; la condition de samanifestation est la désillusion ; et la caractéristique de samanifestation est le bonheur. Quand on dit que le samsara est lecercle vicieux des renaissances, ce n’est pas la naissanceelle-même qui est mise en cause mais c’est une naissanceparticipant de l’ignorance, de l'égocentrisme, desémotions et du karma. Par la force de l’égocentrisme,notre naissance est samsarique, c’est-à-dire conditionnéedes actes du karma. Il existe cependant des êtres dont lanaissance n’est pas conditionnée, sans impulsionségocentriques et qui naissent par la force de leur compassion.La force de la naissance d’un Bouddha, c’est sacompassion, mais il faut bien un père et une mère. Pour autant,sa naissance n’induit ni la souffrance ni le samsara.

Alors qu’entend-on par "tous les lieux dusamsara" ? Il faut bien comprendre que le samsara nedésigne pas un lieu géographique en soi. Le samsara n’estpas situé, ce n’est pas la Terre. Cela ne désigne pas unendroit particulier. Ce n’est pas l’extérieur parrapport à un monastère par exemple où on serait dans unparadis. Même dans le monastère il y a le samsara. Le samsarane peut pas être désigné par un quelconque endroit car lefondement du samsara est vacuité. Etre dans le samsara,c’est simplement être dans l’illusion du malentendu del’égocentrisme, une illusion cautionnée parl’ignorance et aussi par beaucoup d’autres choses commela paresse, l’attachement, l’orgueil. Le samsara,c’est continuer à construire l’illusion qu’onpeut obtenir le bonheur dans une attitude égocentrique.

L’égocentrisme est la démarche première des êtresordinaires qui ont une vue centrée sur eux-mêmes, sur leur soifde bonheur. Tous les êtres exigent le bonheur. Il n’y a pasun être qui souhaite souffrir. Même un masochiste souhaite lebonheur. Sa conception de bonheur est très singulière mais ilcherche du bonheur, des satisfactions. Les conceptions desatisfactions sont variées et relatives. Aspirer au bonheur esten soi légitime. Il ne faut pas se dire « je suisbouddhiste, je n’ai plus droit au bonheur». Tous les êtresont droit au bonheur. Le Bouddha a obtenu le bonheur immuable quiest la reconnaissance de la nature de l’esprit. Il fautgarder cette volonté de bonheur mais notre point de vueégocentrique nous induit en erreur. Ce sont nos conceptionségocentriques du bonheur et les moyens égocentriquesd’obtenir ce bonheur qui nous trompent comme « un jardin » dont lesfleurs sont en fait « des lames derasoirs ». Les satisfactions qu’on peutavoir dans le samsara avec le désir-attachement sont semblablesà du miel sur une lame de rasoir. On lèche le miel maisderrière il y a la lame du rasoir qui nous coupe la langue.C’est l’aspect trompeur du samsara.

Tous les êtres sans exception cherchent le bonheur mais ilsne connaissent pas les moyens d’accéder à un bonheurimmuable, celui de l'esprit. Dans le samsara, on accède à despetits bonheurs, à des satisfactions immédiates. Pour leshumains, elles sont associées aux satisfactions des cinq sens,visuelles, auditives, gustatives, tactiles et olfactivesgénérées par le désir-attachement. On ne condamne pas lavolonté d’être heureux, la volonté de bonheur et desatisfactions. On dit simplement « vous voulez le bonheur,d’accord, très bien mais attention ! les moyens dontvous disposez et que vous mettez en oeuvre sont voués àl’échec ». Parce que le départ est déjà fausséd'avance. Nous partons sur la croyance en une entité dansl'objet de désir et le sujet qui désire. C’est donc unfossé que, dans son illusion, le désir-attachement ne peutcombler véritablement et de façon définitive et immuable.C’est ce qui définit la soif avec cette idéed'insatiabilité. L'illusion du désir-attachement renddéfectueux le samsara et la soif le rend insupportable et vain.On cherche à satisfaire un « je » là où iln’y a aucune entité en tant que telle. On est dans unecourse au bonheur et dans une fuite de la souffrance. Mais jamaisaucun objet de désir ne pourra nous satisfaire de façon durableet c’est ce qui fait la défectuosité du samsara. Il faitdéfaut. Le samsara n’est pas quelque chose qu’on peutdésigner en soi, mais le mécanisme illusoire del’égocentrisme crée les conditions de la manifestationdéfectueuse du samsara.

Méditer la défectuosité du samsara permet de voir que nosespoirs de bonheur sont voués à l’échec. Il faut prendreconscience que dans cette soif de bonheur, on place nos espoirsdans des objets qui ne sont pas fiables. Parce qu’on neconnaît rien d’autre. On ne nous a pas enseignéd’autres aspirations, d’autres objectifs. On est dansle samsara et on consomme des objets de satisfactions, tout enimaginant qu’un jour on trouvera le ou les objets qui nouscombleront entièrement. Et puis le temps passe et on vieillit,vieillit, vieillit et on ne le trouve jamais. C’est ladéfectuosité du samsara. Le samsara est défectueux, on peutdire aussi qu’il n’est pas fiable. Il est vanité desvanités, fumée des fumées, dit l'Éclésiaste. Maisattention ! Il faut se garder de raccourcis hâtifs :posséder une voiture ou un appartement par exemple ne désignepas le samsara qui lui, est issu des constructions del’illusion. Par contre, faire d’une grosse voiture unefinalité, par compensation, est un leurre, mais la fonction dela voiture comme moyen de transport n’est pas une illusion.Se tromper dans les finalités nous distrait car nous ne nousposons pas les vraies questions. C’est pourquoi Soukhasiddhimet en garde contre « les artifices del’ignorance ». L’ignorance crée desartifices, de l’espoir, des distractions, de la paresse, dudésir, des répulsions pour essayer de négocier nos petitessatisfactions. Et ce processus est inépuisable. De la mêmefaçon, les conceptions de bonheur pour chacun des êtres sontégalement innombrables. Chacun a sa petite notion de bonheur.Pour l’un, ce sera la réussite sociale, pour un autrel’argent, ou le pouvoir, ou encore d’être tranquilledans son jardin ou dans une grotte dans l’Himalaya…. Cesont des conceptions, des artifices de l’ignorance.

Il faut donc passer à un autre mode de soif de bonheur, unesoif spirituelle, une soif d’éveil ou une soif de Dieu, peuimporte le nom qu’on lui donne. Le samsara est défectueuxet le contraire de la défectuosité, c’estl’efficacité au bonheur, ce qu’on appelle le nirvana,c’est-à-dire l’au delà de la souffrance, l’audelà des mécanismes de la soif, de l’égocentrisme. Toutcomme le samsara, le nirvana ne peut pas être désigné commeétant quelque chose en soi ou un lieu en soi. Ni le samsara nile nirvana n’existent en tant que tels. Mais pourl’instant, dans notre démarche actuelle, on va quand mêmedire qu’il y a quelque chose comme étant le samsara. On estdans le samsara et on aspire au nirvana

C’est ainsi qu’une fois pénétré de l’idéede la défectuosité du samsara, on peut éprouver une certaineironie du fait d’être notre propre dupe et de « sefaire avoir » par nous-même en quelque sorte. Ou bien,comme le dit Soukhasiddhi, on peut être   « mû intimement par une sorte detristesse ». Une tristesse, dans le sens demélancolie, comme celle évoquée par Saint Jérôme. Uneamertume. Une nausée selon les termes de Sartre. L'existence estvanité. On se met en peine de voir qu’on est dans une soifinsatiable qui pourrait durer des vies et des vies. Et ensuite,parce qu’il ne suffit pas d’être triste, on faitnaître « un renoncement intense», le renoncement d’arrêter ce genre demécanismes dont on est à la fois le bourreau et la victime,renoncer à construire l’illusion et l’égocentrisme.Il est très important de bien comprendre cette notion derenoncement car elle peut être aussi un piège sur notre cheminspirituel. À quoi doit-on renoncer ? On le verra plus endétail dans le chapitre du refuge mais renoncer ne veut pas direrenoncer aux biens matériels. Quand on se sait malade, on varenoncer à la maladie. On renonce à la souffrance et aux causesde la souffrance, on ne renonce pas au plaisir. C'est déjàassez difficile comme ça. Il ne faut pas se faire une imagetoute faite du renoncement et finir ses jours dans un monastère.Avec cette vue de l'esprit, on risque de devenir un moinemalheureux et pénible. Le monastère est certes un lieuprivilégié pour un réel renoncement mais il peut être aussiun piège. Certains tantras évoquent l'indolence monastique.Dans les yogas par exemple, les maîtres faisaient renoncercertains disciples à la vie monastique elle-même. Ils leschassaient parce qu’il se développait un certain confort.Le renoncement peut prendre tous les cas de figure mais dansl’intelligence et le respect de la personnalité de chacun.La vie des 84 sages de l’Inde ancienne nous fournit nombred’exemples de gens ordinaires qui renoncèrent à traversleur vie quotidienne et selon leurs particularités. Ils étaientcordonnier, paysan ou mère de famille, l’un était unpassionné de musique, l’autre un joueur de dé invétéré,un autre encore était paresseux et passait son temps à dormir.Tous eurent un véritable renoncement (aux causes de lasouffrance) mais n’en continuèrent pas moins leuractivité, qui à coudre ses chaussures, qui à jouer aux dés oubien comme le roi Indrabodhi à profiter des plaisirs de sonpalais. Comme il est dit dans la voie du bodhisattva, la viequotidienne offre la meilleure opportunité… Maisattention ! Là encore on peut se leurrer en se disant« je suis parmi les êtres, j’aide les êtres »et finalement on ne travaille pas à son propre Éveil.C’est un aveugle qui guide d'autres aveugles. Il faut donctoujours rester vigilant par rapport à son renoncement.

Prendre acte de notre précieuse existence humaine anoblitnotre condition, lui donne toute sa grandeur et donne tout sonsens au mot humanité. Concevoir l'impermanence et la mort nousamène à nous ouvrir à la réalité nue et à apprécier leprix de chaque instant et l'importance de chaque être. Assumerla causalité du karma ouvre à une responsabilité et à uneliberté d'esprit. Maintenant, la reconnaissance de ladéfectuosité du samsara marque une nouvelle étape dans notreengagement spirituel. C'est faire face à la vanité del'existence. Et faire face à la vanité, c'est couper court ànos petits caprices de désir-attachement. Si on médite lavanité, ce n'est pas pour saper le moral. Les méditationsprécédentes nous en préservent. Nous ne devrions pas sombrerdans le nihilisme. Il y a du sens, mais pas celui que notre soifsouhaiterait voir dans les choses. Le sens que l'on investit dansles choses tend à justifier nos désirs. La soif et ledésir-attachement propres à l'homme font qu'il produit plusqu'il n’est nécessaire. Aussi longtemps que cela durera, onrestera un bon consommateur besogneux. Pour notre société desurproduction et surconsommation, la vanité est considéréecomme une notion néfaste car elle met en péril leurjustification et en lumière son cynisme.

L'expérience de vanité commence très souvent par uneexpérience douloureuse et brutale : la mort d'un proche, unlicenciement, une rupture ... Nous perdons d'un coup nos marques,nos identifications etc....Elle peut également se révéler parde petits signes de tristesse, des symptômes de vulnérabilité.Plus on aura assumé de "petites morts" dans notreenfance, plus il sera facile de faire face à la vanité. Ladéfectuosité du samsara est la quatrième et dernière idée àméditer car elle marque l'étape précédant une démarche forted'aspiration qu'on appelle le Refuge. On doit enchaîner avec uneattitude d'aspiration construite et non plus simplement faite denos espoirs et de nos désirs. On coupe avec ses rêves demystique et ses espoirs de transcendance. Le Refuge ne doit pasêtre un abri de compensations.

À partir de là, on va générer une aspiration forted’entrer dans la voie de la libération et du bonheurpermanent. On prend comme soutien les maîtres du passé, latransmission des bouddhas, leurs enseignements et on assume laferme résolution d’obtenir en cette vie même l’étatde Bouddha. Cette résolution est importante parce que lerenoncement à lui seul, ne suffira pas. Si on se dit« bon, je renonce et puis on verra bien, il va bien sepasser quelque chose », non ! Cela ne va pas aller.Renoncer pour renoncer, ça ne sert à rien. On va peut-être sedonner l’impression de parcourir un chemin spirituel endevenant végétarien par exemple, mais il peut n’y avoirrien derrière sinon une simple affaire de goût. Il faut êtreattentif à nos mécanismes. Il faut le renoncement mais avec larésolution de quelqu’un qui est confiant en lui-même etrésolu : « j’obtiendrai l’état de Bouddhaen cette vie ! ». Il ne s’agit pas de se direavec une sorte de fausse modestie "l’état de Bouddha,ce n’est pas pour moi, je ne suis pas assez évolué"ou bien "j’attendrai une autre vie". Si le Bouddhaavait commencé comme ça, il ne serait jamais devenubouddha ! Parfois, j’entends certaines personnes medire "pour l’instant je ne peux pas, je suis unefemme" ou "je suis français". Ce sont desconceptions, souvent entretenues par notre paresse. On aspire àl’Éveil mais en même temps, on n’y applique pas uneréelle détermination car cela contrarie nos habitudes.

Il ne faut pas hésiter à prétendre à l’Éveil. C'estfaire honneur à notre bouddhéité. On donne alors tout son sensà notre précieuse existence humaine. On prétend, un peu à lamanière d'un homme d’affaire qui recherche unemploi. Il arrive dans une société avec son curriculumvitae, il analyse cette société et il en conclut "voilà,votre société a besoin de mes services". On analyse lesamsara et le samsara a besoin de notre Eveil, pour le bien desêtres.

Ainsi se termine la dernière idée fondamentale des quatrepréliminaires communs.

 

3) conclusion

Ces quatre idées fondamentales ne quittent jamais unpratiquant et chacune se médite en prenant en compte deuxaspects. Il y a d'un côté l’aspect pessimiste. On admetl’état actuel des choses : la mort, l’impermanence, ladéfectuosité du samsara. De l'autre côté, il y al’aspect optimiste qui stimule la vigilance et l'aspiration.Il faut finir ces méditations par la détermination à pratiquerle dharma. On est "en danger" mais il existe une issueet c’est la pratique du dharma. Parce que si on ne le faitpas, au moment de la mort, on sera seul. Il n’y a doncplus que le dharma qui compte. Et quand on dit le dharma, cen’est pas d'avoir fait des stages dans des centresbouddhistes. Il s'agit de l'expérience des qualités de l'espritpar le mérite de l'effort sincère et profond dans la réflexionet la méditation. Quand on sera face à la mort, on ne sera pascomme un petit enfant. On aura vu des qualités de notre esprit.Voilà en quoi consiste la pratique du dharma et le but de laméditation.

Plus on médite, plus ça vient spontanément. Au début on sepose des questions, on a des doutes. Si on a des doutes,c’est qu’on a commencé à avancer. Il ne faut pas sedire " ah, je n’y comprend plus rien,j’arrête !", non ! C’est simplementqu’on se creuse les méninges ! Les doutes favorisentla réflexion, nous entraînant à relire un texte ou àréécouter un enseignement. On se pose des questions, onréfléchit. Et à nouveau méditation, méditation.

Si ces quatre idées fondamentales sont intégrées, ou mêmeseulement l’une d’entre elles, automatiquement vient lerenoncement. On est prévenu, on est responsable. C’est ànous de choisir ce qui sera fiable au moment de la mort. A partirde là, on assume. Et on finit la méditation par un élan qui vanous stimuler vers l’aspiration, vers ce qu’on appellele Refuge.

 

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